Mutsa, mon amour...
ISBN : 979-10-91275-06-4
Toute la poésie d’Aboubacar Saïd Salim dans Mutsa, mon amour... est à l’image de ce déchirement politique et culturel qui se meut en douceur et extraordinaire tendresse par l’écriture poétique :
Loin de toi je comprends
au tréfonds de moi
combien je t’ aime
parmi les nobles d’ Ikoni
Le poète nous invite au souvenir de la terre, son Île natale, au voyage et à la célébration de l’amour où simplicité rime avec sensualité, qu’il peint comme un vent, en une parole qui invente des mots seuls qui deviennent identité et combat.
Je ne te dis pas adieu Césaire
Bien Aimé car Phoenix tu renaîtras de tes écrits
Les jeux du Monde sont faussés. Tout est donc faux et nous n’ oublions pas que sur cette terre tout passe.
Que deviendra ton verbe clair
comme l’ éclair franc
comme le bruit du tonnerre
Parole mémoire, parole seule qui fait prendre conscience et met l’homme debout. Un ensemble de poèmes sensibles marqués par le temps et le pays qui nous composent, mais aussi dans l’intensité de l’amour, la vie simple.
Et me promener dans les herbes folles du jardin
au secret de ton âme
et écouter la musique
dans un désir vertical
cette nuit nos corps ont rêvé nus sous la lune.
Résolument inscrit dans l’ici et maintenant, le poème dégage une énergie quasi sacrée et contagieuse qui se dresse en une multiplicité de thèmes, le contrôle réfléchi de l’inspiration et l’extraordinaire possession des moyens techniques que le poète maîtrise d’ un poème à un autre.
Moroni -villas - palaces / Moroni - indifférence / Moroni paillotes / Moroni bidonvilles / Moroni - portefaix - trimeurs.
Dans chacun de ses poèmes tremble une étincelle, quelque chose de presque fascinant. Et son discours poétique continue à transmettre un message cohérent, à fonctionner tantôt comme un drame, comme une comédie, à circuler dans notre horizon, à nous traverser et à nous parler du petit matin tremblant de notre histoire commune et poétique.
Séga endiablé de l’ eau chuintante / sur les galets dressés des montagnes.
Par le fait même qu’il n’ esquive aucun sujet, que son inspiration ne connaît ni seuils, ni limites, ni tabous, ni interdits et qu’il butine partout.
La mer comme un drap de cristal / sur le lit du désir s’ étend / Macumba la Noire Déesse / du plaisir et du rythme.
Ici, dans la recherche de son identité insulaire, dans l’ exigence de la même justice pour tous, il sait si bien qu’ il faudra se battre et rendre coup pour coup et dis :
Maurice Blonde, Maurice Jaune, Maurice Brune, Maurice Noire
Je te salue ô Maurice Île phare / sur les récifs de la fortune / à l’écume blanche immaculée
Debout nous sommes là pour dire assez
Trambwe t’en contera de son temps
La vraie poésie est celle qui naît des circonstances dans lesquelles elle a été écrite ; elle traverse le temps que l’on ne sait plus mesurer et nous fixe dans le primordial. Mutsa, mon amour tient donc une place honorable dans la littérature comorienne d’aujourd’hui et mérite d’être largement diffusé .
Paul Dakeyo
Poète
La sincérité poétique d’Aboubacar Saïd Salim
13 mars 2014
Avec Mutsa mon amour, paru le mois dernier aux éditions Cœlacanthe, Aboubacar Said Salim, signe un recueil de poèmes qui pose sur les choses du monde, de la région sud-ouest de l’océan indien, de son pays l’archipel des Comores et sur les êtres qui comptent à ses yeux, un regard où se mêlent l’amour, l’admiration et la dénonciation.
Ce recueil regroupe des poèmes qui étaient publiés il y a longtemps et des nouveaux. Selon l’auteur le titre Mutsa mon amour, qui est en fait un hommage à la ville de Mutsamudu à Anjouan, a été choisi pour des raisons esthétiques et patriotiques. « Nous sommes souvent les écrivains ou les poètes de nos îles respectives ou même de nos régions. Je voulais rompre avec cette habitude, et n’étant ni d’Anjouan encore moins de Mutsamudu de par la naissance, je le suis de cœur », confie Aboubacar Saïd Salim qui est né à Moroni. Le chef lieu de l’île d’Anjouan où le poète a vécu pendant quatre ans a, ainsi, droit à trois poèmes qui lui sont spécialement dédiés : « Mutsa, mon amour », « Mutsa, ma martyre » et « Mutsa ma rebelle ».
Les thèmes abordés dans ce livre préfacé par le poète Camerounais, Paul Dakeyo, sont variés. Les mots que l’on retrouve sont tantôt douloureux, tantôt doucereux à l’image des expériences multiples dont l’auteur a vécues. Ils expriment « la révolte contre les inégalités, les mensonges des grands de ce monde et des politiciens », explique-t-il, lui qui dit dénoncer également « la violence préméditée contre des peuples souverains pour des intérêts sordides ». Il met en même temps en exergue « ceux qui ont réussi à garder leur dignité grâce à leur travail et aux efforts de leur gouvernants. C’est le cas de Maurice, l’île voisine des Comores à laquelle j’ai consacré plusieurs poèmes », avance l’auteur.
Le ton est donné dès les premières pages de ce recueil de 54 poèmes étalés sur une centaine de pages. Ainsi dans un poème intitulé Je te hais d’amour, l’auteur s’adresse à son pays en ces termes : « Comores tu as fais de nous/ La risée du monde / Tu nous as rendu zinzin / Des vrais patins / Comores, tu as uniformisé nos pensées / Et nos actions ne visent / Qu’à monter au plus haut du mât du pouvoir /Pour arracher cinq vices primordiaux: / Vacuité, vanité, voracité, veulerie, vol». Des vers qui sonnent étrangement comme un écho au mouvement citoyen en cours à Moroni, capitale des Comores, dont on retrouve Aboubacar Said Salim parmi les principaux animateurs…Trois pages plus tard et dans la même veine, dans le poème Ultimatum, on peut lire ceci : « Débout ! Nous sommes là / Pour vous dire/ Assez ! » (…) « Parlons de ce partnership / Qui nous chipe tout ce qu’il peut/ Matière grise et première du sud vers le nord / Comme un aimant !/ Et en contrepartie nous inonde d’armes / De dettes et de larmes ! ».
Des mots qui démontrent le franc parler de ce poète, car, soulignons le, garder sa langue dans la poche, Aboubacar Saïd Salim, ne sait pasfaire. C’est sans doute son insoumission et son militantisme qui lui ont valu de connaitre les affres de la prison sous le régime des mercenaires. D’ailleurs, une grande partie des poèmes qui figurent dans ce recueil ont été écrits dans la solitude de la prison. « Certains poèmes ont été inspirés par des évènements vécus, beaucoup de poèmes ont été écrits en détention et portent souvent à la fin le terme Boirodjou qui est une fusion du camp Boiro lieu de tortures en Guinée Conakry du temps de Sekou Touré et Voidjou, lieu de tortures aux Comores du temps d’Ahmed Abdallah et des mercenaires », nous confie le romancier. « Pour moi l’écriture est une thérapie contre toutes les agressions de la vie, mais aussi une façon de « se donner à soi » comme dirait Montaigne », confie-t-il en guise de conclusion. Mutsa, mon amour donne l’immense plaisir d’un langage riche, presque gastronomique. A lire et à faire lire….
Faïssoili Abdou